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Pourquoi y a-t-il moins de femmes qui se lancent sur le marathon ?

En cette période d’effervescence autour de l’égalité hommes-femmes et du sexisme, notamment à l’occasion de la grève des femmes 2019, je souhaitais parler de la présence des femmes dans courses officielles.

 

 

Quand on aborde le sujet de la liberté de courir en tant que femme, comment ne pas citer Kathrine Switzer ? Première femme à courir le marathon de Boston en 1967 en étant enregistrée sous le nom neutre de K. Switzer, les organisateurs avait essayé de la sortir du flot de coureurs, assez brutalement, lorsqu’ils se sont aperçus qu'une femme courrait (on retrouve ces images et une interview de Kathrine dans le film « Free to run » de Pierre Morath, à voir absolument !).

 

En 1972, Kathrine Switzer viendra d’ailleurs en Suisse pour la course Morat-Fribourg.  Son but est de montrer la voie aux suissesses, qui viennent en outre tout juste d’obtenir le droit de vote. Il faudra encore 4 ans et la persévérance de plusieurs coureuses clandestines pour qu’en 1976, la course s’ouvre enfin aux femmes.

 

En 1984, le premier marathon féminin a lieu dans le cadre des Jeux Olympiques de Los Angeles. Avant cela, les épreuves olympiques féminines ne dépassaient pas les 800 mètres, les femmes étant jugées trop fragiles pour supporter des distances plus longues !

 

Grâce à ces précurseuses, les femmes peuvent prendre part aux diverses courses organisées un peu partout dans le monde.

 

Bien qu’il reste encore des pays où les femmes n’ont pas le droit de faire du sport (ce sujet nécessiterait un article complet), la situation évolue gentiment, comme le montre cet article de 2018. Les femmes ont envie de se faire une place dans le monde du sport, si l’on en croit le succès de cette course en Arabie saoudite.

 

 

 

Je considère la course à pied comme un sport plutôt ouvert et égalitaire. Il nécessite peu de matériel et il permet à chacun.e de s’élancer sur des courses quel que soit son niveau (à quelques exceptions près évidemment, comme les épreuves olympiques ou les marathons majors). Cela explique sûrement aussi l’engouement pour la course à pied, car la facilité de participer à des compétitions crée une émulation et une forte motivation chez les coureur.euse.s. Dans quel autre sport les amateur.trice.s et l’élite mondiale participent-iels à la même course, avec le même départ ?

 

 

 

Malgré cela, dans les courses longues (+ de 30 km), les hommes restent encore largement majoritaires. Je l’ai souvent constaté dans les trails et les courses que j’ai fait. Aussi, j’ai fait des petits calculs en prenant comme exemple les 2 derniers marathons auxquels j’ai participé.

 

Au marathon de Liverpool en mai dernier, il y avait 34.4% de femmes (1073 classées) et 65.6% d’hommes (2044 classés), soit près de 2 fois plus d’hommes que de femmes.

 

Et pour le marathon de Lausanne, les chiffres sont encore plus évocateurs. En effet, la répartition entre les genres est presque parfaite pour le 10 km avec 50,3% d’hommes et 49, 7% de femmes mais elle passe à 66% d'hommes pour le semi et, attention, à 80,4%d'hommes (et donc seulement 19,6% de femmes). Et comme une image vaut 1000 mots, j'ai fait un joli graphique pour illustrer ces chiffres !

Cela n’a évidemment rien de scientifique mais donne quand même une idée de l’écart.

 

 

Je m’interroge sur les raisons de cette différence…

 

Le mauvais temps peut-il en partie expliquer la différence de pourcentage de femmes entre le marathon de Lausanne (il faisait froid et il a plu une bonne partie de la course) et celui de Liverpool ? Je ne pense pas que les femmes renoncent plus facilement à une course que les hommes en cas de conditions difficiles. Et les chiffre du marathon de Paris 2018 (25% de participantes) se rapprochent de ceux de Lausanne (bien que la tendance soit à la hausse).

 

 

Le marathon est une épreuve difficile qui peut faire peur. Les femmes ont-elles plus peur que les hommes de se lancer dans ce défi ? Y sont-elles moins encouragées ?

Un article de runners sur les statistiques en France relève que seules 6% des femmes faisant un sport régulièrement font de la compétition contre 16% des hommes. Ces chiffres concernant tous les sports confondus mais montrent aussi un problème de représentation et de légitimité. En effet, dès l'adolescence et même dès l'enfance, les hommes sont beaucoup plus encouragés que les femmes à faire du sport et se sentent donc plus légitimes, à leur place dans ces pratiques.

 

Un autre aspect , plus pratique cette fois, qui peut avoir de l’influence est que le marathon est une course qui demande une sérieuse préparation avec au moins 3 entraînements par semaine, des sorties longues le week-end… et que les femmes ont peut-être moins de temps disponible à y consacrer, surtout lorsqu’elles travaillent et ont une famille (rappelons que les tâches domestiques sont effectuées à 65% par les femmes selon l’Office suisse de la statistique).Par contre, préparer un semi ou un 10 km est plus envisageable.

Autre aspect un peu désolant soulevé dans un article du magazine suisse Fémina en 2015, « selon un sondage réalisé […] par le Frauenlauf, les participantes ont donné comme principales motivations le plaisir, les effets positifs de la course justifiant les efforts consentis, les bienfaits pour la santé et une compensation du stress du quotidien. […] les objectifs de performance "entrent donc moins en ligne de compte que pour les hommes" ».

Si la course à pied a principalement pour but l'entretien de la forme et de la santé, en effet, pas besoin de courir un marathon !

 

 

Le traitement et la place des femmes dans l’espace public peut aussi être un paramètre qui entre en jeu. En effet, je me suis déjà pris des remarques, coups de klaxons ou des sifflements pendant que je courrais. Même si la plupart des gens sont bienveillants, une remarque ou une voiture qui ralentit derrière vous pendant que vous courrez peuvent vous faire remettre en question cette pratique. A cela s’ajoutent les meurtres de joggeuses relayés par la presse… Ça rappelle en permanence aux femmes que l’espace public appartient encore aux hommes et que sortir courir, seule, et d’autant plus s’il fait nuit, ça peut être se mettre en danger.

 

 

 

Pour finir sur une note plus positive, je dirai que la représentation des femmes dans le sport est en train de changer petit à petit mais que cela prend du temps. On le voit avec la Coupe du monde de foot des femmes, les mentalités commencent à évoluer et c'est bien ! Il faut des modèles féminins de sportives valorisées pour encourager les filles à faire du sport... et peut-être que dans quelques années, il y aura autant de femmes que d'hommes sur le marathon de Lausanne !

 

A bientôt :)